Sur les traces de mon père

Les recherches que j’avais entreprises depuis 2007 m’avaient révélé les lieux de captivité de mon père, entre 1940 et 1945 : le stalag VI A de Hemer où comme des milliers de prisonniers de guerre, il avait été enregistré, épouillé, désinfecté avant d’être affecté dans un Arbeitskommando à Halberbracht (n° 637) puis à Meggen (n° 2805) où il a été libéré le 10 avril 1945. Entre temps, le 10 décembre 1942, son Arb-Kdo était passé sous la coupe du stalag VI D de Dortmund, sans que mon père l’ait forcement fréquenté.

Mémorial VI-A Caserne Blücher
Mémorial VI-A Caserne Blücher

En 2010, du 14 au 16 avril, j’ai participé à un voyage commémoratif, pour le soixante cinquième anniversaire de la libération du stalag VI A. Tous les ans, le 15 avril, la municipalité de Hemer célèbre, avec des associations locales du souvenir, cet anniversaire, au mémorial situé à l’entrée de l’ancienne caserne Blücher, qui était, en 1939-1945, le stalag VI A.

Hemer - Musée de la caserne Blücher - salle commémorative du stalag VI A

Hemer - Musée de la caserne Blücher - salle commémorative du stalag VI A

 

 

 

 

Dans les anciens bâtiments de la caserne Blücher et le musée qui lui est dédié, une salle commémorative présente les archives recueillies par Mr Eberhard Thomas, responsable des Archives municipales ainsi qu’une maquette réalisée par Mr Wolfgang Ebe. 

"Leur passé est une sorte d'héritage, comme une graine qu'on plante et qui donne un bel arbre."
Des descendants des prisonniers de guerre français, belges et polonais du stalag VI A et du stalag VI D ont (symboliquement) planté cet arbre le 14 avril 2010.

A cette occasion un chêne a été planté, par la municipalité de Hemer que nous remercions, en haut de la colline située derrière les anciens bâtiments du stalag VI A. Un vétéran, Sady Maurin (au second plan), était parmi les participants. Il nous a hélas quitté le 6 février 2012. Ses souvenirs et sa gentillesse ont éclairé ce voyage commémoratif.

A Dortmund, le souvenir de la présence du stalag VI D se limite à ce mémorial :

Dortmund - Westfalenhalle - Mémorial du stalag VI D

Dortmund - Westfalenhalle - Mémorial du stalag VI D

Il fallut tout le talent de Mme Regina Mentner des “Stadtarchiv” de Dortmund pour retracer l’histoire de ce camp de prisonniers de guerre installé dans un site très fréquenté par les habitants de la ville. Encore aujourd’hui, c’est un très vaste espace de congrès, d’expositions, de spectacles et de loisirs sportifs.

Notre voyage nous conduisit jusqu’à Lennestadt, à 62 km au sud-est de Hemer. Cette ville a regroupé, en 1969, 43 communes de Sauerland, dont Halberbracht et Meggen, où était exploitée par la Sachtleben, la mine de pyrite, reprise, après la guerre, par la Siciliaschacht, jusqu’au 31 mars 1992. Aujourd’hui le site est devenu un musée de l’industrie minière de la Siciliaschacht (http://www.bergbaumuseum-siciliaschacht.de/). Son directeur, Bruno Heide, nous fit une présentation détaillée des activités de la mine. Celle-ci est très différente de ce qu’elle était avant guerre : d’une part les conditions techniques d’extraction ont été très  modernisées (nouveau puits à Meggen de la  Siciliaschacht et rampe Walther notamment) et d’autre part le traitement du minerai a suivi l’évolution du marché et de rentabilité des ressources (abandon de la production d’acide sulfurique concurencée par les dérivés du pétrole, épuisement des réserves barytines en 1977 et diminution de la teneur en zinc jusqu’à moins de 6 %). Cependant Bruno Heide présenta des photos et une galerie représentant l’époque de la seconde guerre mondiale. C’est au cours de cette période que la mine a atteint sa production maximale avec plus d’un million de tonnes de minerai en employant plus de quatre mille ouvriers, pour la plupart travailleurs forcés et prisonniers de guerre. Mr Bruno Heide, réunit, à la suite de cette visite, les renseignements concernant l’utilisation du travail forcé par la Sachtleben, entre 1939 et 1945 (voir chapitre “Émile Weppe. La captivité en Arbeitskommandos”. 

Ce voyage m’avait apporté des renseignements nouveaux mais surtout permis des contacts qui allaient me donner d’autres informations plus précises. Au cours de l’année qui suivit, j’ai poursuivi mes recherches et assemblé les pièces du puzzle sur la captivité de mon père. L’envie d’aller vérifier sur place mes hypothèses a coïncidé avec le projet de voyage de Christiane. Ce que nous avons entrepris, mon épouse Danièle, Christiane et moi du 26 mai au 2 juin 2011. A Hemer où nos routes se séparaient, Eberhard Thomas, responsable des Archives municipales, m’accueillit au musée de la caserne Blücher, pour une visite personnalisée de la salle commémorative du stalag VI A. Je pus donc photographier, dans le calme, les remarquables maquettes du camp et du bloc 6 de Wolfgang Ebe, ainsi que quelques documents. De plus, Monsieur Eberhard Thomas me remit des photocopies des 166 actes de décès dans le stalag VI A de prisonniers de guerre français. Dans de nombreux cas, la cause de la mort (le plus souvent la maladie) est indiquée (en allemand). 

En fait le stalag n’avait été qu’un lieu de passage. C’est en Arbeitskommandos que la captivité de mon père s’est écoulée.

“Un si beau village” – Destination Halberbracht où le “Landgasthof” accueillant de Bruno et Carola Eickhoff nous attendait : http://www.eickhoff-halberbracht.de/ 

Notre voyage était aussi touristique. La cuisine de Bruno Eickhoff est parfumée d’herbes, car la Sauerland est une belle région de moyenne montagne et Halberbracht est un très joli village fleuri. Pourtant, je ne me souviens pas avoir entendu mon père en parler. Pas plus que je n’ai lu la moindre allusion aux paysages dans les courriers des prisonniers de guerre. Les congés payés ne dataient pas de longtemps et le tourisme était encore réservé aux classes privilégiées. Mais surtout, les pensées et les sens des prisonniers de guerre étaient autrement occupés (la captivité, la faim, l’insécurité, l’épuisement physique et moral).

Le puits Baro (Boroschacht) n’existe plus mais l’entrée de la galerie “Bermkestollen” a été conservée. La molette du chevalement est présentée en mémorial devant la Shützenhalle.

Halberbracht - Vue de l'emplacement du Sportplatz où était installé le Lager n° 637

Halberbracht - Vue de l'emplacement du Sportplatz où était installé le Lager n° 637

Bruno Eickhoff m’indiqua l’emplacement du Lager n°637 (Halberbracht II Post) où 73 PG étaient logés dans des baraques à l’emplacement actuel du “Sportplaz”, à la sortie haute du village par “Am Kickenberg”.

Le dernier jour de notre séjour, il m’emmena au cimetière photographier la croix et la plaque commémoratives des PG français tués le 10 avril 1945 par la méprise des forces US. 

Il me présenta aussi la ferme où des PG français avaient pronostiqué sur un mur la date d’arrivée de leurs libérateurs.

Notre base était bien choisie car Bruno et Carola Eickhoff connaissent très bien cette région dont ils sont originaires. Ils ont favorisé nos contacts et raconté les faits et anecdotes reprises dans mes articles. C’est là aussi qu’eut lieu une interview par Miriam Brüser du SauerlandKurier :  http://www.sauerlandkurier.de/auf-den-spuren-des-vaters-sauerlandkurier_kat116_id160044.html. Cet article entraîna d’autres contacts.

Je voulais voir le lieu de la photo de la carte postale de mon père. Tous les avis étaient unanimes et c’est ce charmant Mr Eberts qui nous emmena à Maumke, à l’angle de la Maumker Strasse et de Am Rott, devant l’ancien café de Mme Maas et la salle voisine qui servit de Lager à des prisonniers de guerre français en 40-45. Les bâtiments sont encore là mais le café est devenu un immeuble locatif. Je remarquais que les linteaux de la porte et des fenêtres étaient droits alors que ceux de la carte postale étaient légèrement cintrés. Mais plus de soixante ans ont passés et les bâtiments ont été réhabilités. Mr Eberts, qui jeune adolescent portait le pain de la boulangerie où il travaillait jusqu’aux camps de prisonniers, se rappellait bien les lieux. Il précisa, qu’à la libération des camps, les prisonniers de guerre français avaient défendu Mme Maas des Russes venus pour piller. Mme Maas avait aussi une ferme et il est très probable que la photo ait été prise alors que mon père était détaché de son Arbeitskommando au travail dans cette ferme. Paul Maniez raconte que cela lui est arrivé également.

Grevenbrück - Musée

Grevenbrück - Musée

Je fis un saut aux Archives municipales de Lennestadt, situées dans l’ancien Grevenbrück, bien que son responsable, Mr Kalitzki, ait préalablement prévenu que son service ne détenait pas de document concernant les prisonniers de guerre. Mais le même bâtiment abrite également le musée de Lennestadt et sa responsable, MmeAndrea Bräutigam, m’attendait pour me présenter les documents d’une salle dédiée à la seconde guerre mondiale. Je pus prendre quelques photos pendant qu’elle me fit des photocopies d’autres documents qu’elle avait recherchés.

Meggen - Kriegerehrenmal

Meggen - Kriegerehrenmal

Je remarquais surtout le nombre important de soldats décédés, originaires des communes jumelées dans Lennestadt. Déjà, en visitant Halberbracht, Meggen, et Grevenbrück, j’avais remarqué leurs monuments aux morts. Il est bon de nous rappeler, dans nos démarches, que le peuple allemand a payé un lourd tribut, en vies humaines, à cette guerre (5 318 000 militaires décédés, dont 459 475 prisonniers de guerre morts en captivité, et 3 810 000 victimes civiles). Pour rappel, la France a compté 238 000 militaires et 330 000 civils décédés pendant ce conflit.

Quelques jours plus tard, Andrea Braütigam m’envoyait un mail dans lequel elle me disait avoir rencontré la belle-fille de Mme Maas qui avait reconnu, dans la carte postale de mon père, l’entrée du bâtiment possédé par ses beaux-parents et dans lequel des prisonniers de guerre avaient été hébergés pendant la guerre.

Altenhundem, autre partie de Lennestadt, est située entre Meggen et Kirchhundem. Paul Maniez en parle dans son récit, du pont de chemin de fer, cible des bombardements de la RAF et de l’US Air Force mais aussi de l’hôpital St Joseph où des prisonniers de guerre français ont été soignés ou sont décédés. Mon père y a été hospitalisé du 8 au 22 novembre 1942, pour subir une appendicectomie.

Enfin, je fis pour Jean-Claude Maniez, qui m’avait envoyé quelques jours plus tôt le récit de son père, un reportage photo des lieux que je pus identifier.

Je n’ai pu localiser le  Lager n° 644. Mais quelques jours après notre retour, Christoph Troester puis Manfred Jung, tous deux membres de l’association de jumelage Kirchhundem-Houplines (59) prenaient contact avec moi, via Miriam Brüser du SauerlandKurier. Nous nous sommes rencontrés fin juillet à Houplines au cours d’un tournoi de pétanque et d’un barbecue et, le 16 août 2011, Manfred Jung m’informait qu’il avait parlé de mes recherches à Martin Vormberg, responsable des “Stadtarchiv” de Kirchhundem, et terminait son courriel par : “… venez et nous nous jetterons dans les caves de la mairie de Kirchhundem..”. A suivre …

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